Écrire dans une autre langue
- PK
- 25 mai 2019
- 4 min de lecture
Depuis un an déjà, je suis inscrite dans une formation de scénario à Tokyo.
Dans ce cadre, il me faut écrire un certain nombre de petits scénarios, d'une longueur d'environ dix minutes, évidemment en japonais. L'objectif pour moi: apprivoiser la langue tout en écrivant des histoires, et a fortiori, être capable de créer des récits cohérents et intéressants dans une langue qui n'est pas la mienne.
À mon avantage, l’écriture de scénario ne nécessite pas forcément de maîtriser toutes les figures de styles littéraires, ni d’avoir avalé le dictionnaire. C’est avec le peu de mots que j’ai acquis jusqu’à présent qu’il me faut inventer et écrire des histoires que je lirai ensuite devant une classe entière.
Qu’est-ce que ça change concrètement d’écrire dans une langue qui n’est pas sa langue natale?
D’abord, il y a énormément de recherches de vocabulaire. Quand on décrit qu’un personnage marche « à pas de loup », faire une traduction littérale est absurde. Il y a aussi des mots qu’on utilise mal en français, ou du moins pas dans sa bonne acception, et par conséquent lorsqu’on cherche un équivalent dans l’autre langue cela peut donner un sens assez bizarre.
Ecrire dans une autre langue m'a permis de me rendre compte qu’en français aussi, j’ai certaines lacunes. Il est peut-être, au moins, aussi important qu’en japonais de faire des recherches lexicale et sémantique, ne serait-ce que pour être sûr que ce que l’on écrit est bien conforme à ce que l’on a imaginé. Je n’ai qu’un tout petit volume de mots en japonais et je dois me débrouiller avec ça pour créer des histoires fortes et captivantes. En un sens c'est presque bénéfique, car il est difficile de s'étendre en longueur lorsqu'on n'a pas beaucoup de mots pour le faire. Par définition, on écrit déjà de manière assez concise et simple.
Il y a une contrainte qui n’existe pas dans l'écriture de scénario en français, qui est probablement unique à l'écriture en sinogrammes: il y a une limite de caractères par ligne et une limite de ligne par page. On retrouve souvent comme contrainte 20 caractères par ligne pour 20 ou 40 lignes par page, soit 400 à 800 caractères par page.
Les scénarios que je dois écrire dans le cadre de ma formation sont également limités en nombre de page (cela reste à la base des exercices). Tout cela cumulé donne un très petit nombre de caractères pour souvent une histoire beaucoup plus importante.
Limité à 10 pages strictement, il y a forcément des scènes qu’il va falloir raccourcir, changer, complètement couper... Il y a là déjà une première étape de tri: on est obligé de se poser la question de l’utilité de chaque scène. Si je coupe celle-ci, va-t-on toujours aussi bien comprendre les intentions du personnage principal? Va-t-on comprendre suffisamment la situation dans laquelle il est impliqué?...
Puis vient l’étape suivante, lorsque plus aucune scène ne peut être complètement coupée, où l’on raccourcit les scènes. Bien sûr commencer par le début et la fin de chaque scène, c’est la base. Il faut s’occuper des dialogues également. Certains traînent en longueur alors que quelques mots auraient suffi.
Après ces étapes, déjà le scénario devient plus consistant. En japonais on dirait probablement qu’il devient plus « corsé », « concentré ».
Mais, le nombre de page est toujours trop grand. Ne serait-ce qu’une ligne en trop n’est pas acceptable.
Dès lors, il faut chercher quelles lignes on peut raccourcir. Ce qui veut dire qu’il faut faire une sélection dans le choix des mots d’une part, et aussi dans la description des événements, des émotions. Peut-être avec une autre tournure de phrase ce dialogue tiendra en une seule ligne? Ou cette action, ne pourrait-elle pas faire quelques lignes de moins? Un personnage en colère qui fait tomber tous les objets de la bibliothèque, ai-je vraiment besoin de décrire le bruit de chaque objet qui tombe? À moins qu’il y ait une utilité narrative, probablement pas.
Ce processus de réduction donne au final un récit dont on a gardé l’essentiel. Ce qui le rend plus efficace, avec un peu moins, voire plus du tout, de « gras ». Bien sûr, en français aussi, ce sont les conseils qui sont souvent prodigués pour améliorer son scénario, couper le gras, l'inutile... Simplement, cela restait toujours un concept assez vague dans ma tête. Il n'y a pas de nombre de mots par ligne défini à l'avance, ni de nombre de ligne par page. Et cela dépend aussi de la taille de police, et de la typographie utilisée. Il y a vaguement cette règle d'une page = une minute. Cela n'aide en rien à l'écriture. En japonais, en revanche c'est très concret : on va demander 400, 800 caractères maximum par page x un nombre de page fixe. On sait tout de suite quelle quantité il faut écrire, et le processus de structuration du récit commence immédiatement entre ces limites.
Répéter ce processus de réduction sur chaque scénario, c’est évidemment l’exercice voulu par cette formation. Mais la particularité de devoir faire rentrer son récit littéralement dans une case, m'a fait prendre conscience de l’aspect complètement malléable d’un scénario. Tout peut toujours être imaginé d'un autre point de vue, avec un autre déroulement, une autre fin. Ça peut donner le vertige. Bien entendu, c'est quelque chose que je savais. Je le savais mais c'est comme si je ne l'avais jusqu'à présent pas intégré physiquement. Rien que pour entrer dans les cases, j'ai parfois repensé l’intégralité d’une histoire, remettant en cause quel serait le personnage principal, les premières scènes d’ouverture que j’aimais tant, la façon dont les antagonistes se rencontrent et les conséquences qui en découlent pour ne garder que l’essentiel: ce que je voulais vraiment transmettre dans ce récit. Ce qui n'est ni plus ni moins que de la réécriture.
Tout ce processus de réécriture, je le connaissais. Bien avant que je ne commence à écrire en japonais, je faisais, bien sûr, une réécriture de mes scénarios. Cependant je n'avais aucune méthodologie, et je ne savais pas à quoi m'intéresser en premier. J'avais toujours l'impression de faire n'importe quoi... Quand j'ai commencé cette formation, je pensais surtout apprendre à écrire correctement en japonais, à maîtriser la langue tout en écrivant des scénarios. Je ne pensais pas une seconde apprendre à écrire tout court.
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