Writer's block : face à ses peurs
- PK
- 20 avr. 2020
- 7 min de lecture
Je l'écrivais dans un précédent article, je distingue, en ce qui me concerne, deux types de writer's block : un qui trouve ses origines dans mes peurs intimes telles que la peur de l'échec (writer's block de protection, que j'appelle "bouclier"), et un second qui naît d'un processus normal de réflexion (ou "sablier").
Ce premier type de writer’s block est pour moi le plus difficile à combattre car il est interne. Il répond à des peurs qui me sont propres et qui surgissent à presque n'importe quel moment. Ces peurs, comme toute peur, ont pour but de me protéger d’un danger mortel. Avoir peur d’un serpent a quelque chose de naturel, c’est une réminiscence de notre instinct de survie ancestral : il y a un réel danger potentiel à se faire mordre et à mourir si ce serpent est venimeux. La réponse simple à une rencontre avec un animal dangereux est de fuir, de battre en retraite. C’est le même genre de signal que notre cerveau envoie lorsque les peurs du writer’s block se manifestent. On bat en retraite, on fuit le clavier ou le cahier pour "survivre". Sauf qu'avoir peur d’être un mauvais auteur engage moins la survie immédiate, qu’une rencontre avec un crotale. Je ne risque pas la mort en écrivant un scénario pas très bon ou même carrément mauvais. Je risque juste de m'entendre dire, dans le pire des cas : "c'est nul ». Cela blesse mon ego, oui, mais n'attente pas ma vie
J'ai remarqué que lorsque je contracte un writer's block de type "bouclier", j'ai des symptômes plutôt récurrents, notamment physique. Ils sont probablement différents pour chacun mais voici les miens :
l'estomac et/ou la gorge noués
des palpitations ou le cœur qui se serre de manière erratique
un stress notable à la simple pensée des choses à faire, choses qu'il me sera de toute façon impossible à terminer (que la liste soit longue ou non, j'ai déjà décidé que c'était impossible)
j'évite mon bureau comme la peste
une envie de rester allonger toute la journée (en me lamentant de préférence)
une irrésistible envie de débrancher mon cerveau par n'importe quel moyen pour fuir la situation (binge-watcher une série, n'importe laquelle, rester bloquée sur des vidéos bizarres de youtube...)
parfois une certaine boulimie de tous les aliments sucrés à disposition
Je peux présenter tous les symptômes tour à tour au cours de la même journée, ou sur plusieurs jours si ça dure, voire même — et là je n'ai plus qu'à me mettre en PLS — je les ai tous en même temps.
La levée de bouclier
Les peurs qui provoquent mon writer's block sont souvent les mêmes et très liées les unes aux autres:
la peur d'être un échec/une ratée
la peur de ne pas réussir en tant qu'autrice
la peur d'échouer
la peur de ne pas tenir sa deadline, de ne manquer de temps
la peur d'être nulle, inintéressante, pas talentueuse/douée
la peur de ne pas être à la hauteur, de ne pas pouvoir venir à bout de tout ce que je veux ou voudrais réaliser (dans un minimum de temps bien sûr)
la peur de gâcher mon temps, et donc de gâcher ma vie en passant à côté de ce à quoi je devrais vraiment la consacrer.
Toutes ces peurs sont comme autant de drama-queen qu'il faut calmer. Il y a pour chacune d'elle une réponse rationnelle, rassurante. Faut-il encore en avoir conscience. Reconnaître les symptômes du writer's block est une première étape, identifier ce qui me terrifie en est une seconde. La troisième étape est de mettre à terre la ou les peurs responsable de mon état.
Baisser la garde
Reconnaître qu'on a peur, ce n'est pas facile. La peur c'est pour les autres, pour les faibles, pour les ratés. C'est ce que me dit la voix de la culpabilité qui accompagne le writer's block de protection. Elle accompagne toutes les peurs et s'intensifie plus on passe de temps à ne pas écrire. Mais, si j'arrive à identifier que j'ai peur, et ce qui me fait peur parfois de manière très précise, alors je peux contre-attaquer, crever l'abcès et enfin baisser ma garde. Quand je réussis à les désamorcer, tout s'évapore très vite, comme un mauvais rêve et je peux retourner travailler mon manuscrit.
Il faut répondre à chaque peur, au cas par cas, et démonter point par point leurs arguments :
Aux peurs d'être un échec, de ne pas réussir en tant qu'autrice, je m'interroge sur les critères d'évaluation pour déclarer cet échec.
Si je me compare à des auteurs ou des autrices renommés, dont j'admire le travail ou dont je reconnais la valeur, alors je vais me sentir toute petite et ridicule. Mais le randonneur qui va gravir un sommet à 2000 mètres d'altitude ressent-il autant de médiocrité s'il se compare à celui qui gravit l'Everest? Gravir 2000 mètres est déjà une belle réussite, non? Peu importe que le chemin n'était pas très raide, bien balisé et que les conditions climatiques étaient parfaites : le sommet à 2000 mètres est atteint.
Et si ce n'est pas l'alpiniste de haut niveau à qui je me compare mais à ce ou cette collègue, que je pensais au même niveau que moi, et qui "réussit" mieux que moi? La voix de la jalousie mal placée et le syndrome de l'imposteur sont redoutables pour jeter de l'huile sur le feu! Il faut donc définir quelle est cette réussite : au même titre que pour l'échec, sur quels critères juge-t-on une réussite?
Ces collègues, ces amis qui "réussissent" mieux, ils ont un parcours différents du mien, ils connaissent des gens différents, ils écrivent différemment, ils ont eu des occasions différentes, que je n'ai peut-être pas eues, ou que je n'ai pas su saisir. Cela ne veut pas dire que c'est facile pour eux, ni qu'eux-même pensent avoir "réussi". Cela ne veut pas dire non plus que si je n'ai pas réussi en même temps qu'eux, je suis vouée à rester "en échec".
Mon parcours est différent, ma réussite sera forcément différente aussi. Il est aussi possible que je ne reconnaisse même pas mes propres succès, passés ou futurs.
Aux peurs de manquer de talent, voire d'être mauvaise, de ne pas être à la hauteur, de rester toujours une amatrice, je peux répondre que si mauvais un texte soit-il, il peut toujours être réécrit. Je peux réécrire, demander des conseils, faire lire à des personnes de confiance pour avoir un retour. Si j'ai le sentiment de manquer de technique, alors je peux apprendre, lire des livres sur la dramaturgie, faire des masterclass, regarder des tas de films, lire des tas de livres pour m'améliorer. Personne ne vient au monde avec un talent inné. Le talent se construit et s'alimente. Il y a toujours de la marge pour s'améliorer, perfectionner son écriture et ses techniques. Il n'est jamais trop tard pour apprendre. D'autant plus que, plus j'écris, plus je me perfectionne. Alors il vaut mieux écrire que rester planquée derrière mon bouclier. Si je n'ai rien écrit, je n'ai rien à réécrire non plus, je n'ai donc pas de matière pour m'améliorer.
Quand bien même j'ai écrit, réécrit, et soumis mon texte à un producteur, à une maison d'édition, à la terre entière via internet, et qu'il est très très mauvais, est-ce que je ne risque pas de me griller à vie? Heureusement, personne ne retient un mauvais projet ou un mauvais texte. Pourquoi des gens très occupés retiendraient-ils par cœur les détails d'une mauvaise histoire? Ils ne retiendront même pas mon nom. Peut-être me maudiront-ils un peu de leur avoir fait perdre du temps, mais cela s'arrêtera là. Si j'essuie des refus de manuscrits, de scénarios, cela ne veut pas non plus dire que je suis mauvaise. Les goûts et les couleurs sont très personnels. Si mes histoires ne plaisent pas, cela ne signifie pas qu'elles sont nulles. D'autant qu'aux goûts des uns et des autres s'ajoutent les lois d'un marché très concurrentiel qui change rapidement. Tel ou tel projet refusé n'est jamais perdu. Dans le pire des cas, il est toujours un projet qui m'aura servi à progresser.
A la peur de gâcher son temps, gâcher sa vie... Si l'on juge que l'on a plus important à faire, alors il faut le faire. Il faut faire ce qui importe pour soi. Si rien n'est plus important, alors pas de panique. Dire que l'on gâche sa vie, c'est faire une projection sur un des multiples futurs possibles qui s'offrent devant soi. Ne rien faire par peur de gâcher son temps ou sa vie est un de ces futurs possibles, mais est-ce vraiment celui-ci que je veux?
En acceptant de passer du temps à écrire et à inventer des histoires, j'accepte la possibilité que le résultat ne soit pas aussi bon qu'espéré, mais j'accepte aussi que je puisse en prendre du plaisir à ce processus de création. Est-ce que prendre du plaisir, c'est gâcher son temps? Est-ce gâcher sa vie? On en revient encore à des critères d'évaluation. Ces critères sont-ils seulement justifiés? S'agit-il de l'injonction de tout réussir à 30 ans, tous domaines confondus? Pourquoi devrait-on s'en tenir à cette date butoir? Et prendre plus de temps pour réussir — si tant est qu'on ait défini, pour soi, ce que signifie réussir — est-ce gâcher sa vie ? Il faut, il me semble, remettre ces concepts de succès et de réussite en un temps toujours plus court à leur place. Si nous "réussissions" tout à 30 ans, que ferions-nous après?
Penser qu'il est trop tard, qu'on a gâché son temps, sa vie ou son avenir, en fonction de critères établis par d'autres ou par la société qui nous entoure, parce qu'on exerce un métier qui, en plus, n'est pas dans "les cases", est absurde et destructeur. Chaque fois que cette idée de "gâcher" mon temps surgit avec mon writer's block, je me pose la question de ce que je voudrais faire, si ce n'est pas écrire. Ma conclusion est toujours la même jusqu'à présent : il n'y a rien d'autre que je veuille faire, et même, que je puisse faire. Il n'y a donc pas de raison de penser que je suis en train de gâcher ma vie.
Quand mes peurs surgissent et que je leur impose ce genre d'argumentaires, en général, elles battent en retraite d'elles-mêmes.
Cela ne veut pas dire qu'elles partent définitivement.
Selon les jours, elles rôdent encore plus ou moins à proximité, mais j'ai suffisamment de répit pour baisser enfin ma garde, et me remettre à travailler.
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