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L'importance des données en écriture

  • Photo du rédacteur: PK
    PK
  • 16 janv. 2020
  • 7 min de lecture

En 2017, j'ai tenté pour la première fois de manière sérieuse le NaNoWriMo. Pour ceux qui ne savent pas de quoi il s'agit, c'est le National November Writing Month qui a lieu tous les ans, au mois de novembre. Il propose le challenge, à qui veut, d'écrire un roman, ou un début de roman, ou autre chose, d'au moins 50 000 mots. C'est le seul objectif qui compte : écrire 50 000 mots, en un mois.


Je n'aurais jamais réussi ce challenge s'il n'y avait pas eu sur leur site, des outils tout à fait anodins, mais auxquels on ne pense pas souvent en écriture : les statistiques!


Le site du NaNoWriMo propose des petits outils statistiques pour, notamment, voir son avancée par rapport à l'objectif des 50 000. Dès le départ, on nous donne la moyenne idéale : 1667 mots à écrire chaque jour, pour naturellement un mois plus tard, atteindre les 50 000 mots et avoir un début de roman.

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Mes statistiques du NaNoWriMo 2017

Chaque jour, on rentre le nombre de mots écrits et une petite courbe ou diagramme se forme. On voit où on en est par rapport à l'objectif, en un seul coup d’œil. Parmi les autres outils, on trouve aussi sa moyenne de mots écrits par jour, le nombre restant à écrire, combien il faudrait en écrire chaque jour pour réussir le challenge etc. Tous ces petits outils poussent à écrire quoi qu’il arrive et à rester motivé. C'est une carotte comme une autre, mais qui n'a pas envie d’une belle courbe équilibrée et qui atteint l’objectif?


Plus encore, ces statistiques me montraient que j'en étais capable, même si certains jours je n'écrivais pas, ou très peu. Je me suis sentie suivie et les chiffres étaient là pour me rassurer sur une chose : ce que j'avais déjà accompli et la possibilité de finir dans les temps.


Si bien que, une fois le challenge terminé, j'ai essayé de reproduire ces conditions. J'ai testé leurs "Goals trackers" après le mois de novembre, mais une chose est apparue rapidement : le manque d'objectif concret. 50 000 mots c'est extrêmement concret. Ecrire un nouveau scénario quand on part de zéro, ça l'est beaucoup moins. C'est indéterminé, vague. Exactement tout ce que mon syndrome de l'imposteur adore. Il se sert des incertitudes d'un nouveau projet comme tremplin et le donne en chair à canon au writer's block. Car soyons honnête, je ne sais pas combien de mots fait en moyenne un scénario de long métrage de 90 minutes. Je sais à peu près le nombre de pages, mais les mots? Je ne sais pas non plus combien de temps ça va me prendre pour l'écrire. Un mois, 6 mois, plus?


Avec ces questions sous-jacentes et un writer's block bien pénible, je me rends compte que quelques auteurs et autrices relèvent des données statistiques sur leur propre travail. Pour améliorer leur "productivité", mieux organiser leur temps d'écriture. J'ai souvent lu au sujet du métier d'auteur, ou de créateur en général, qu'il fallait le traiter justement comme un métier. Bien... Mais je ne sais pas grand chose à propos de mon propre métier.


Il y a très peu de données qui existent concernant l'écriture en tant que telle. Il faut dire que c'est quelque chose de très personnel. Chacun a sa manière de travailler, chacun a son rythme. Il y des personnes qui peuvent se mettre à écrire avec une toute petite idée, sans plan, et ne plus s'arrêter avant d'avoir écrit "Fin" à leur manuscrit. Alors que d'autres posent tous les grands axes de leur histoire, et ne se mettent à écrire que lorsqu'ils savent où aller. Il n'y a pas une seule voie possible, et c'est probablement ce qui fait qu'il est difficile de généraliser ce métier avec des statistiques.


N'empêche que je ne sais pas grand chose non plus de ma manière d'écrire, de mes capacités, de mes forces, ni de mes faiblesses. Combien de mots suis-je capable d'écrire en un seul jour en moyenne? Combien de temps cela me prend-il pour développer une idée de film et construire sa structure? Combien de jours d'affilée je peux écrire sans avoir besoin d'un break? Combien d'heures d'affilée? Combien de temps ai-je consacré à l'écriture cette semaine, ce mois, cette année?

Curieuse et désireuse de faire mieux, d’être plus productive (mon syndrome de l’imposteur étant un personnage récurrent), je me mets à comptabiliser le temps que je consacre à l’écriture. Que ce soit seulement un moment où je ne fais « que » réfléchir, ou que je sois dans la flamme de l’inspiration et que mes doigts brûlent sur le clavier.


Me voilà donc à élaborer un fichier Excel tout bancal : je note le nombre d’heures travaillées, par projet, ainsi que le nombre de mots écrits. Je totalise ça sur la journée, le mois, l’année. Je vais même jusqu’à préciser à quel stade du processus j’en suis : concept, V1, réécriture...

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Extrait de l'un des mes tableaux Excel - première semaine d'octobre 2019 - avec le total d'heures et de mots sur le mois en dessous.

Après un an et demi à remplir méticuleusement mes tableurs Excel, et bien que j'en sois encore au stade du tâtonnement pour ce qui est du suivi et la documentation de mon travail, je constate plusieurs bénéfices à le faire.


1) Plus de "productivité" : noter et quantifier mon travail en soi me pousse à travailler plus : un tableau bien rempli, c’est beau et gratifiant.


2) Étouffer le syndrome de l'imposteur : mes tableaux mensuels permettent de visualiser, d'un seul coup d’œil, que j’ai travaillé et effectivement passé du temps à l’ouvrage, n’en déplaise à mon syndrome de l’imposteur. Je vois la quantité, je peux la mesurer, je vois la récurrence : c'est réconfortant et bon pour l'ego. Cela me fait dire que je ne suis, après tout, pas aussi fainéante que je ne le crois.


3) Connaître la moyenne "basse" de son rythme de travail : en exerçant un autre emploi à côté, je parviens à consacrer environ 30 heures à l’écriture par mois. Ce n’est pas beaucoup, mais c’est stable. Bien sûr je peux faire plus. Mais je sais désormais, grâce à ce relevé de données, que c’est ma moyenne « basse » dans mes conditions actuelles de vie et, qu'a minima, je suis capable de fournir cet effort sans bouleverser tout le reste de mon quotidien (vie sociale et de famille, repas, et surtout sommeil).


4) Avoir des points de comparaison : cette année j'ai écrit environ 60 000 mots. Je sais que je peux en écrire 50 000 en un mois grâce à l'expérience du NaNoWriMo. Je sais donc que j'ai largement de quoi m'améliorer en termes de productivité d'une part, mais aussi d'autre part, que je suis capable de fournir un travail plus important (en quantité) sur une durée plus courte. En revanche cela ne veut pas dire que je suis capable de sortir 50 000 mots tous les mois.


6) Comprendre comment on travaille : parmi les autres données intéressantes que j'ai relevées, celles concernant les phases d'écriture. En moyenne par projet, je passe environ un tiers du temps total à la conception, un tiers à l'écriture de la première version, et le dernier tiers à une première réécriture*. J'avais plutôt le sentiment auparavant, que la conception de l'histoire me prenait beaucoup plus de temps que la réécriture. Je sais désormais que mes phases de travail sont à peu près équilibrées. Cela me permet de mieux prévoir et de mieux gérer mon temps pour l'écriture de mes scénarios suivants.


répartition du temps pour chaque étape d'écriture concept, V1, réécriture

7) Connaître ses faiblesses : quand je suis en vacances, je suis vraiment en vacances. J'arrive à me couper réellement de tout travail (mon tableau de juin en est tristement vide...), ce qui est en soi plutôt une bonne chose. En revanche, la reprise est toujours lente : je sais qu'il me faut du temps pour redémarrer et reprendre un rythme de croisière. Si je n'avais pas noté mon travail, je n'aurais pas remarqué que c'était systématique, et j'aurais continué à me culpabiliser de ne pas être au top dès mon retour de vacances.


8) Une meilleure organisation du temps d'écriture : je sais désormais qu'un scénario de 10 minutes (en japonais) me prend en moyenne 20h de travail, concept, première version, et réécriture compris (le plus rapide ayant été 7h et le plus long 45h). Je peux donc calculer, à peu près, combien de temps il me faudrait pour écrire un scénario de 60 ou 90 minutes. Comme je sais également combien de temps environ je passe à la conception de l'histoire, je peux me donner un objectif de temps atteignable et réaliste pour l'écrire. Idem pour les autres étapes d'écriture, je peux les prévoir.


9) Identifier les moments les plus propices : à faire ces relevés, j'ai remarqué que je travaille beaucoup plus souvent l'après-midi que le matin. C'est une histoire d'organisation de la vie quotidienne qui fait que cela tombe ainsi, et cela serait sûrement amené à évoluer si mon quotidien changeait. Grâce à cette information, je tend plus naturellement à réserver mes après-midi de congés à l'écriture. Et, de fait, mon cerveau s'y est préparé et attend ce rendez-vous : je me sens alors motivée et inspirée plus facilement.


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Relever des données sur son travail d'écriture n'est probablement pas une nécessité pour tout le monde. Cela paraît peut-être un peu ridicule, ou cela peut sembler être une perte de temps pour certains, mais en ce qui me concerne, cela m'aide énormément à prendre confiance en mon travail, en mes capacités, à combattre mes peurs. Cela m'aide à ritualiser mon travail, à créer une routine, à m'organiser. Ce qui me semble d'autant plus important, quand on ne vit pas de l'écriture et qu'on doit avoir un autre emploi à côté. Au final, c'est une manière pour moi de me concentrer davantage et, au contraire, de gagner du temps.


Il y a encore plein d'autres choses que je pourrais améliorer, quantifier, observer avec ces tableaux de données. L'important n'est cependant pas de s'épuiser à relever tout et n'importe quoi, seulement ce dont on a besoin. Et si le virus du tableur Excel prend, on peut toujours rajouter au fur et à mesure des paramètres.


 

*j'entends ici par réécriture, la première passe de révisions du texte brut, afin d'avoir une bonne première version du manuscrit/scénario.

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